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Témoignage de Chantal
A Témoigner pour parler de soi ça n’a pas trop d’intérêt si ce n’est pour témoigner de ce que l’Esprit et le compagnonnage des frères et sœurs de la famille Cor Unum et de mon institut ont fait en moi et où cela me mène. D’autres qui vivent la même consécration que moi le diraient tout à fait autrement : je découvre et ceci d’autant plus qu’actuellement j’ai des responsabilités qui m’amènent à rencontrer beaucoup de mes sœurs, je découvre combien chaque histoire est singulière, avec des appels qui retentissent de manière particulière, étonnante..
En préparant ce colloque, en priant, en relisant ma vie, des mots me sont venus…j’ai donc choisi d’égrainer des mots, un peu à la façon d’un dictionnaire, mais je ne vais pas respecter l’ordre alphabétique…
Le premier mot qui me vient c’est Laboratoire : vous êtes un laboratoire disait Paul VI aux instituts séculiers, laboratoire qui vérifie la qualité des relations de l’Eglise avec le monde, quitte à avoir des initiatives risquées : dans un laboratoire, d’abord on cherche…..on essaie, on innove, on se trompe, on recommence…., on n’est jamais vraiment installé. Cette recherche constante me parait importante
J’ai l’impression de ne jamais être installée. Ce qui est bon aujourd’hui ne le sera pas forcément demain. Cela nécessite un discernement constant : “est-ce que je suis plus libre, est-ce que je suis plus disponible, est-ce que je suis plus fidèle à cet appel profond que j’ai reçu?” Personnellement, à un moment donné j’ai fait le choix de partir au loin, c’était à ce moment-là ma manière de répondre à l’appel du Seigneur. Maintenant je fais le choix de rester en France, et c’est un appel aussi fort. Il faut discerner dans chaque choix à faire si c’est un appel ou un enfermement…s’engager dans sa paroisse peut être un appel ou un cocon, prier tous les jours à la même heure peut être une aide, une fidélité ou un refus de disponibilité…Et dans cette vie de nomade, bien sûr parfois on s’égare. D’où l’importance de retourner vers le Père à travers des temps de silence, de recul, les sacrements…Il y a aussi d’autres boussoles, une rencontre régulière avec un accompagnateur, les retraites, l’aide du groupe de l’institut.
Idole : je suis plongée dans ce monde où grouillent les idoles..et je suis sans filet …et bien sûr je me laisse prendre et constamment je suis appelée à rechoisir le Christ au lieu de l’argent, de la considération, du confort, …les idoles sont de bonnes choses en elle- mêmes, mais elles sont des pièges quand elles m’empêchent de bouger, d’être disponible à l’imprévu, de rencontrer l’autre en vérité, de me laisser travailler par Dieu.
Ce n’est pas nouveau les psaumes en parlent tellement… Les trois voeux m’apprennent à contester les idoles et à témoigner de la liberté qui m’est donnée. Liberté bien souvent entravée, mais qui peut quand même interpeller des personnes dans notre monde actuel tellement séduit par les idoles.
17 octobre : aujourd’hui, journée internationale du refus de la misère, reconnue par les Nations Unies, instituée par le Père joseph Wresinski….cette journée a été initiée d’abord pour donner la parole à ceux qui ne l’ont jamais, à qui on ne demande jamais rien…..pour dire que notre monde, nos démocraties n’ont aucun sens si les plus fragiles de leurs membres n’ont pas voix au chapitre.
Et pour moi cela a un grand sens de dire ici , maintenant à la fois mon engagement dans un institut séculier et avec les personnes et les familles en situation de pauvreté, car rejoindre ceux que l’on dit inutiles voire nuisibles et incapables, et suivre le Christ qui a accepté de rejoindre ceux-ci et d’être aussi complètement inutile, attaché sur la croix, c’est le même mouvement, la même dynamique. C’est avec le Christ, parce qu’il est mort et ressuscité que je peux donner du sens à ce qui humainement n’en n’a pas. Le Christ a trouvé sens à sa vie et à sa mort en regardant cette veuve qui donne tout son avoir au temple, il a changé de point de vue en écoutant cette femme qui lui cassait les pieds pour qu’il guérisse sa fille, et j’apprends à me laisser bousculer par ceux qui sont les premiers dans le coeur de Dieu : cette femme sans logement qui une des premières fois que je la rencontre me demande si je prie souvent et entame avec moi une conversation sur le pardon, pardon qu’elle n’arrive pas à donner mais qui la taraude tellement…Cet homme qui ne s’est pas senti respecté lors d’une réunion avec lui, parce que je faisais un aparté avec mon voisin et qui est parti au milieu de cette réunion : il a complètement changé ma compréhension du respect de l’autre, de l’accueil inconditionnel.
Communauté :
En tant que membre d’IS, je n’appartiens pas vraiment à une communauté. J’ai à vivre seule, assumer ma vie d’une manière indépendante…Et paradoxalement cette solitude me donne de vivre plusieurs communautés ou fraternités, ou familles : il y a d’abord la fraternité des soeurs qui m’ont été données….pas toujours d’accord, pas du même milieu, pas du même bord politique, pas de la même sensibilité religieuse…pas grand chose qui nous réunit… si ce n’est l’essentiel la recherche de la suite du Christ, l’accueil de son appel…alors c’est une vraie école, qui élargit le coeur. Cela me fait découvrir que je ne détiens pas la vérité, que l’Esprit travaille le coeur de chacune et cela m’aide à faire grandir le Corps du Christ dans les autres communautés auxquelles j’appartiens : ma famille, ma communauté de travail, ma paroisse etc…
Oratoire Mac do : le laboratoire et l’itinérance, cela vaut aussi pour la prière…, faire de tout lieu et du fond de notre coeur un oratoire. Un dimanche matin, j’avais raté un train à la gare du Nord, j’avais une ou deux heures à perdre dans ce quartier où beaucoup de gens dorment dehors. Je rentre dans un mac do pour prendre un café, ambiance très glauque, quasiment personne…un homme affalé sur une table en train de dormir….arrive une femme, très marquée, en savates, l’air fatiguée, ressemblant à tellement de femmes que je connais , elle venait profiter des toilettes et du calme relatif de la salle….d’autres la rejoignent…Je n’avais pas dit encore les laudes, et je sors mon prière du temps présent, disant les laudes pour tout ce peuple des fatigués, des sans-logis qui n’ont même pas une pierre où reposer la tête….Et j’ai réalisé à ce moment-là que cette salle du mac do, pour un temps devenait une vraie chapelle, que notre vocation est de faire des chapelles dans tous ces lieux que nous côtoyons.
Les chapelles où je prie, ce sont aussi bien ma chambre, que la piscine, que le métro, et aussi le téléphone avant de parler à quelqu’un….ou l’ordinateur avant d’écrire un mail…ou les cafés de Paris dans lesquels je passe souvent des temps de désert….
Relecture : Personnellement c’est plutôt chaque semaine que je relis telle rencontre, telle parole, tel sentiment…Tous ces petits cailloux blancs que le Seigneur met sur notre route comme le petit poucet, qui permettent de repérer le chemin parcouru, mais aussi le moment où il était là et où moi je n’étais plus du tout là….et comprendre au fil des semaines, des mois, des années sa pédagogie, parce que cela prend du temps de réaliser à quel point Dieu s’est compromis avec l’humanité et à quel point il s’inscrit dans mon humanité à moi… et surtout quelles sont les conséquences de cela. C’est un chemin d’unification de la vie qui peu à peu porte ses fruits.
Conversion : c’est tellement confortable de rencontrer le Seigneur à la messe à travers la communauté plutôt sympathique de ma paroisse, de le rencontrer quand je le prie tranquillement dans ma chambre bien au chaud…..mais la Bible nous dit aussi que Dieu agit par Cyrus, le parfait païen, et qu’un des premiers missionnaires a été cet homme complètement fou qui vivait tout nu dans un cimetière… alors là, c’est beaucoup plus compliqué parce que je dois apprendre à regarder autrement, à repérer Dieu présent mystérieusement au coeur même de l’absence de Dieu. C’est la fréquentation quotidienne du Christ qui peu à peu fait tomber les écailles de mes yeux pour que je ne sois plus pieuse et bien pensante mais que sans cesse je parcoure le chemin pascal. Et pour cela je dois me laisser travailler par la Parole de Dieu.
Parole de Dieu : qui est parole lue dans la Bible , mais aussi lue dans la vie…à tel point que je ne sais plus très bien d’où vient cette parole, si ce n’est qu’elle m’est confiée pour en être témoin….d’où me vient cette parole d’une femme mère de plusieurs enfants qu’elle a eu de compagnons différents, en grande soif d’un grand amour, qui se trouve constamment dans des situations impossibles, dangereuses, et qui me dit un jour alors que j’étais inquiète pour elle,” mais non ça ira, vous qui croyez en Dieu vous savez bien que ça ira…” Et cette femme qui en plein milieu de la messe dit tout haut, “mais pourquoi ils ont tous des têtes d’enterrement, c’est pourtant pas triste…” Constamment dans un va-et-vient l’Evangile me fait regarder les personnes autrement et les personnes me font lire l’Evangile avec un regard neuf.
Le silence, un vrai combat. Il faut vraiment s’obliger à faire silence. J’essaie dans la mesure du possible un soir par semaine, silence de la radio, pas d’ordinateur… Faire taire aussi la radio intérieure, être disponible à Celui qui me cherche. Dans le monde actuel c’est sûrement une mission importante pour un membre d’institut séculier…accepter le vide pour accueillir l’imprévu…refuser l’immédiateté…celle du mail auquel on répond tout de suite sans réfléchir…celle de la réponse creuse immédiate. Laisser de la distance, du temps au temps…
Cela rejoint sans doute la pauvreté… « tu accepteras de manquer » disent nos constitutions… Savoir créer de l’espace en soi, se désencombrer….Dans notre société du tout argent, tout économique, tout tout de suite, c ‘est un défi….
Il y aurait plein d’autres choses à dire, et d’abord que bien sûr je n’y arrive pas à tout ça… pas le temps de prier, les pièges dans lesquels je retombe tout le temps, et les occasions de témoigner de l’Evangile que je ne saisis pas…Mais j’ai envie quand même de finir par deux mots bonheur et eucharistie.
Un engagement dans un IS, ça prend du temps pour s’unifier, se structurer dans une vie bien remplie, et c’est en regardant derrière, dans le rétroviseur…que je découvre que cet appel m’a rendu vraiment heureuse….célibat ?…c’est bizarre….j’ai pas de plan de carrière…. personne pour assurer les vieux jours…..aucune raison d’être heureuse … et pourtant si, et c’est là que je ne peux que rendre grâce… et bien sûr c’est dans l’Eucharistie que toute cette histoire prend sens, c’est là que ma relecture se mêle à cette grande action de grâces du Christ et qu’avec lui j’accueille ce monde bon qui nous est donné gratuitement et que je dis oui en liant ma vie à la sienne à cette alliance qui se renouvelle sans cesse qui nous dit que Dieu est définitivement du côté de l’Homme.